Ceci est mon corps
Je ne suis pas d'accord avec mon corps. C'est triste de devoir lui faire des concessions, en somme il m'est absolument impossible d'être concrètement égoïste, je dois cohabiter de force avec cette entité étrangère qui s'oppose à mes envies comme un autre ,quelqu'un d'autre, une autre personne. C'est la guerre civile. Il m'est inconcevable de me considérer comme un tout, quelque chose d'entier. Mon corps et mon esprit sont dissociables puisque le premier ne cesse de me rappeler à l'ordre comme un gosse capricieux, un parent autoritaire, une sorte de monarque qui prend des décisions irrévocables sans même me concerter, qui décide de mes capacités, me limite. Je hais les limites. La limite c'est la contradiction même de la liberté, une barrière, une impasse. Je ne suis pas libre. Ma barrière, ma prison, mon ennemi numéro 1 c'est d'abord mon propre corps. Merde.
Je n'ai jamais été le genre de personne qui calcule son poids toutes les semaines entretenant une trouille bleue de prendre le moindre kilo pour mieux correspondre aux critères esthétiques imposés par le monde qui nous entoure. Non, j'ai plutôt été le genre de personne qui se regarde vaguement dans le miroir le matin en soupirant très longuement , je me regarde, je ne me vois pas. J'entretiens l'espoir qu'un jour je me réveillerais comme par magie en ayant une gueule plus plaisante, en attendant je me maquille pour éviter de faire subir à autrui ce que je subis tous les jours de ma vie: ma gueule. Dans le meilleur des cas je m'indiffère, ces jours là je ne prends même pas la peine de me maquiller , jme contrefiche de ma tronche qui selon moi alors ne me paraît ni assez horrible pour effrayer les gens , ni assez chargée de beauté ou de charme pour me faire remarquer.
Il en est de même avec mon corps et c'est pour cette unique raison que le sens du mot "pudique" m'est absolument inconnu. Mon corps m'indiffère totalement. C'est un corps, un amas de chair ,de peau, de graisse et de muscles sur des os, voilà tout. Mes seins? Mon cul? Ne faites pas les hypocrites avec moi, vous en voyez partout aujourd'hui, dans les journaux, à la Tv, sur les arrêts de bus, à la plage.Alors pourquoi devrais-je agir comme si les miens susciteraient un intérêt particulier? Je ne suis pas suffisamment imbue de moi même pour ça désolée. Je pense que mon corps n'est ni assez répugnant pour vous susciter du dégoût , ni assez bien foutu pour vous faire envie. J'ai donc cette liberté inouïe de pouvoir afficher mon corps sans timidité, sans autre complexe que mon je m'enfoutisme permanent.
Il y a quelques mois de ça j'avais joué avec cette entité étrangère appelée corps ( le mot devient répétitif) j'avais essayé de le modeler de plusieurs manières possibles, un peu comme un enfant cherche a donner une forme concrète à une boule de pâte à modeler playdoh . Moi j'essayais de lui donner une forme qui me conviendrait ce qu'on appelle communément... chercher à se sentir bien dans sa peau ce qui habituellement sous entend "complexe" mais ce mot là non plus, je ne le connais pas vraiment.
J'avais d'abord voulu faire mon originale, ma fille marrante tiens! Il y a des gens qui maigrissent volontairement, mais qui grossit spontanément? Que ce soit dans l'anorexie ou l'obésité, la prise de poids est loin d'être adulée. Et bien j'avais décidé de devenir spontanément obèse. Question d'originalité. Jme disais qu'en étant gonflée de partout au moins jme taperais des barres en me regardant dans la glace. Jme ferais marrer. C'est bien ça. Un corps qui vous fait rire. Résultat? En 1 mois je me suis tellement écoeurée de la bouffe que je n'avais plus faim et ai fini par considérablement maigrir. Ouais rien ne se passe jamais comme prévu, c'est pénible , je ne parviens jamais au projet initial!
Et puis j'avais essayé d'adapter mon corps à mon esprit, de le pousser à bout pour qu'il n'ai d'autres choix que de prendre la forme de ce que j'avais dans le crâne. 5 jours d'acharnements où j'étais restée enfermée en ne me nourrissant exclusivement que de café et de tabac, m'acharnant sur le stylo, le papier, les touches de clavier, de synthé, sans dormir, sans me nourrir, sans même me laver. Mon corps ne m'avait alors jamais autant fasciné. Je crois qu'alors je l'aimais.J'avais les mains veineuses , les os saillants, l'oeil cerné. Tout me servait de cendrier, j'aurais pu passer ma vie entière de cette manière , enfermée, à l'abri , l'odeur familière du tabac, la tiédeur collante sur ma peau, l'odeur de renfermé que je ne percevais même pas , un peu comme un doudou d'enfant. Ça a quelque chose de terriblement rassurant d'être un déchet, d'être animé par une fièvre qu'on ne transpire qu'en créant quelque chose, aliénée par de la musique, évacuer, évacuer, je me lavais de cette manière.Façonner son corps,éclater ses limites, voir jusqu'où l'esprit triomphe sur le corps, expulser l'horreur, la modeler, lui donner une forme, un nom, une note, une mélodie, des mots, la composer comme on compose un bouquet de fleur. Se modifier, adapter son corps à son esprit , l'os fascine, la veine subjugue. Mes yeux étaient tournés à l'intérieur de mon corps, je ne voyais que moi, rien d'autre, je m'apprenais, me décalquais, m'imprimais , changeais, modifiais comme je l'entendais. J'étais un objet, un clavier, un ordinateur, quelque chose d'utile et je m'utilisais. L'épuisement vous laisse tout ouvrir, le moindre de vos sens est en explosion en permanence, comme si vous vous retrouviez nu dans la neige. Je me visitais à souhait, j'explorais la moindre de mes sensations comme dans un lieu étranger fascinant et je m'épuisais encore et encore, m'imaginant que plus je m'approcherais de l'effondrement plus j'aurais de choses à voir encore et encore. Je cherchais la moindre de mes failles pour l'exploiter comme on creuse le sol pour le pétrole jusqu'à ce que le puit soit épuisé. Je me creusais ,me dévastais, me modelais pour mieux m'adapter à la nuit permanente, l'insomnie, l'acharnement. Mon corps prenais la forme de ma vie , j'en étais ravie. Je ne tiens pas à préciser pour quelles raisons ma vie avait cette forme là. Dites vous que c'était à la fois honteusement pitoyable et à la fois déraisonnablement douloureux.
Le monde extérieur m'angoissait, je n'y étais plus à l'aise je ne m'y sentais plus à ma place et je n'avais de toute manière aucune raison de sortir.
Quelques semaines plus tard je prenais la décision radicale de déménager partir loin et ne plus jamais revenir. En irlande le premier mois j'étais inconsistante, inexistante. Allez savoir pourquoi ,après ça. Finalement je suis rentrée, je suis moins acharnée mais dans le fond rien n'a vraiment changé,
Je suis une machine et je m'exploite.